Règles européennes dans le secteur médical


Adoption du Règlement européen relatif aux essais cliniques de médicament à usage humain 

La résolution définitive du Parlement européen concernant la proposition de Règlement européen relatif aux essais cliniques a été adoptée par les députés européens le 3 avril dernier à une majorité de 594 voix sur 610.

Le texte, qui avait déjà fait l’objet d’un accord informel en décembre 2013, a vocation à harmoniser les législations nationales et à redynamiser la recherche en Europe en remplaçant la directive 2001/20/CE actuellement applicable aux essais cliniques.

Bien que la proposition définitive reprenne les dispositions définies en décembre 2013, la transparence des essais cliniques semble avoir été renforcée par les députés européens lors de cette dernière lecture, selon le service de presse du Parlement européen.

Les points essentiels de cette proposition sont les suivants :

  • Simplification de la procédure de demande d’autorisation : l’examen des demandes sera désormais centralisé et accéléré. En pratique, le promoteur devra soumettre une demande sur le portail créé à cet effet par l’Union Européenne, et ce, que l’essai soit national ou multinational. Le dossier sera suivi par un Etat rappoteur, qui devra évaluer les aspects scientifiques et méthodologiques de la recherche dans les 45 jours suivant la validation de la demande. Les aspects éthiques du protocole seront en revanche évalués concomitamment par chaque Etat membre concerné.
  • Une transparence accrue : les promoteurs auront l’obligation de rendre public l’avancement du recrutement des participants aux essais cliniques et, sous un délai d’un an, les résumés détaillés de ces derniers. En outre, les rapports d’études cliniques complets devront être publiés dès l’octroi d’une AMM pour le produit testé.
  • Un contrôle renforcé : le texte prévoit la possibilité pour le personnel de la Commission européenne de procéder à des contrôles dans les Etats membres et dans les pays tiers pour vérifier le respect de la réglementation européenne.

Un délai de transition de 2 ans est toutefois prévu afin de permettre aux Etats membres de s’adapter à ce nouveau cadre juridique.

Le texte doit encore recevoir l’aval du Conseil de l’Union Européenne le 14 avril prochain. Il sera ensuite signé par le député européen rapporteur, Glenis Willmott, le 16 avril. Sa publication au Journal Officiel de l’Union Européenne est attendue dans les semaines qui suivront cette dernière étape.

La question de sa compatibilité avec le droit français, et notamment avec la loi Jardé, dont l’entrée en vigueur est suspendue, se pose désormais clairement au législateur national.

 

 

Loi n°2014-201 du 24 février 2014 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine de la santé

Cette loi a pour but d’adapter le Code de la santé publique aux différents textes européens publiés ces dernières années en matière de santé publique :

  • Vente en ligne de médicaments (article 4) : cet article modifie la rédaction de l’article L.5125-34 du Code de la santé publique afin d’autoriser la vente en ligne de tous les médicaments qui ne sont pas à prescription obligatoire, conformément à la décision du Conseil d’Etat du 17 juillet 2013, qui avait partiellement annulé la version initiale de l’article L.5124-34 limitant la vente en ligne aux médicaments de médication officinale.
  • Nouvelles obligations du titulaire de l’AMM d’un produit faisant l’objet d’un arrêt de commercialisation (article 5): alors que la loi Bertrand ne prévoyait qu’une obligation de motivation des arrêts de commercialisation survenus à l’étranger, cette nouvelle disposition étend l’obligation de motivation aux arrêts de commercialisation envisagés en France.
  • Harmonisation des prescriptions médicales délivrées en vue de leur utilisation dans un autre pays membre (article 6): transposant la Directive n°2012/52/UE du 20 décembre 2012 et la Directive « Soins transfrontaliers » n°2011/24/UE, l’article 6 rend obligatoire, s’agissant des médicaments biologiques et biologiques similaires, immunologiques, des médicaments dérivés du sang, des médicaments de thérapie innovante et des produits issus de l’ingénierie tissulaire, la prescription en DCI ou en dénomination dans la pharmacopée et en nom de marque lorsque la prescription est établie en vue de son utilisation dans un autre Etat membre.
  • Adaptation des dispositions nationales au Règlement n°1223/2009 sur les produits cosmétiques (article 3): la loi désigne notamment les autorités compétentes nationales en la matière et définit les sanctions en cas de manquement aux obligations imposées aux fabricants de cosmétiques.

 

Adoption de la loi relative à la consommation : aspects affectant le secteur de la santé

La loi Hamon a été publiée au Journal Officiel le 18 mars 2014, après que le Conseil Constitutionnel se soit prononcé notamment sur la constitutionnalité de l’action de groupe à la française (qui, en l’état du texte publié, n’est pas applicable au domaine de la santé). Les aspects de cette loi affectant le secteur de la santé sont les suivants :

  • Fin du monopole des pharmaciens sur la vente des tests de grossesse et d’ovulation (article 38) : la loi modifie l’article L. 4211-1 du Code de la santé publique afin d’autoriser la vente de ces dispositifs par des non-pharmaciens à compter du 19 mars 2014. Selon l’Union nationale des pharmacies de France, cet article introduit une « brèche [...] dans le monopole pharmaceutique ». Cette disposition est d’entrée en vigueur immédiate.
  • Encadrement de la prescription et la vente de verres correcteurs et de lentilles correctrices (article 39) : ces dispositions ont été adoptées au vu du développement de la vente en ligne de ces produits d’optique. En pratique, à compter du 16 septembre 2014, l’écart pupillaire devra figurer sur les ordonnances de verres correcteurs. De plus, le prestataire commercialisant des lentilles de contact en ligne devra permettre au patient d’obtenir des informations et des conseils auprès d’un opticien-lunetier. Un décret en Conseil d’Etat doit toutefois intervenir pour déterminer les modalités d’application de cette nouvelle obligation pesant sur les sites de vente en ligne de lentilles de contact.

 

Reconnaissance par la Cour de cassation du rôle déterminant de l’ANSM dans la qualification d’un produit en médicament

La chambre criminelle de la Cour de cassation a, par un arrêt du 21 janvier 2014 (n°12-87.377), reconnu à l’ANSM un rôle déterminant dans l’attribution de la qualification de médicament par présentation à des compléments alimentaires.

Dans une procédure en exercice illégal de la pharmacie engagée à l’encontre d’un vendeur par correspondance de compléments alimentaires, le Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens (CNOP) considérait que les produits vendus étaient des médicaments, et qu’en conséquence, ils ne pouvaient être vendus que par des pharmaciens.

Le juge d’instruction avait alors consulté l’ANSM afin qu’elle détermine le statut des produits en cause. Cette dernière avait conclu à la qualification de compléments alimentaires pour cinq des produits concernés. Ces produits pouvaient donc être vendus par un non-pharmacien.

Les juges d’appel confirmant cette position, le CNOP s’est pourvu en cassation pour ces cinq produits. La chambre criminelle a rejeté le pourvoi et a consacré, par un arrêt du 21 janvier 2014, le rôle déterminant de l’ANSM dans la qualification d’un produit en médicament.

 

Délimitation par la CJUE de la notion de « brevet de base en vigueur » contenue dans le Règlement européen relatif au certificat complémentaire de protection (C-493/12)

La société Human Genome Science (HGS) détient plusieurs brevets sur la protéine nommée « neutrokine alpha » ainsi que sur les anticorps qui ont la capacité de se lier à elle.

Le Laboratoire Eli Lilly, en cours de développement du « tabalumab », anticorps disposant de cette faculté de se lier à la protéine, a tenté sans succès de faire invalider le brevet détenu par HGS, afin de pouvoir commercialiser le tabalumab sans risquer de contrefaire le brevet.

Approchant de la fin de la durée de protection du brevet HGS, et Eli Lilly étant sur le point de demander une AMM pour son anticorps, HGS était en position de pouvoir demander un certificat complémentaire de protection (CCP).

En effet, pour obtenir un CCP, le Règlement européen CE n°469/2009 exige, d’une part, que le principe actif soit protégé par un brevet de base en vigueur et, d’autre part, que le produit couvert ait obtenu une AMM, ce qui allait être le cas du tabalumab, dont HGS souhaitait empêcher la commercialisation.

Eli Lilly a contesté à HGS la possibilité d’obtenir un CCP, en soutenant que le tabalumab n’était pas couvert par un « brevet de base » au sens du Règlement européen, puisque la revendication du brevet de HGS, rédigée de façon trop large, ne pouvait comprendre cet anticorps.

Pour cela, elle faisait valoir que le brevet ne proposait pas de définition structurelle des anticorps couverts par la revendication, mais une simple définition fonctionnelle, insuffisante, selon elle, à permettre l’octroi d’un CCP sur la base de cette revendication.

Le juge britannique, confronté à l’interprétation du Règlement européen, transmit alors une question préjudicielle à la CJUE, afin de savoir s’il suffisait que les anticorps soient définis de façon fonctionnelle, ou si une définition structurelle était nécessaire.

En retenant l’exigence d’une définition structurelle du principe actif, la CJUE aurait pénalisé leur protection par un CCP. En effet, seuls les principes actifs dont la structure serait précisément définie dans le brevet de base pourraient prétendre à l’obtention d’un CPP (par exemple selon une séquence d’acides aminés primaires).

Toutefois, la CJUE a adopté une approche plus pragmatique dans son arrêt du 12 décembre 2013. Elle y précise sa jurisprudence Medeva (C-322/10) du 24 novembre 2011 – par laquelle la CJUE interprète le Règlement européen CE n°469/2009 comme s’opposant à la délivrance d’un CCP portant sur des principes actifs ne figurant pas dans le libellé des revendications du brevet de base – et retient une définition fonctionnelle du principe actif, correspondant à la réalité des brevets actuellement déposés. En effet, selon une étude réalisée en 2008, moins de 10% des brevets portant sur des anticorps comportaient une définition structurelle de ces derniers.

 

Arrêt de la CJUE du 13 février 2014 sur la compatibilité au droit européen de la réglementation autrichienne encadrant la liberté d’installation des pharmacies (C-367/12)

La CJUE se prononce sur la compatibilité de la loi autrichienne restreignant l’installation des pharmacies à des critères démographiques stricts à la liberté d’installation prévue par la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne.

La loi autrichienne prévoit que la demande de création d’une nouvelle officine doit être refusée lorsqu’elle fait baisser le nombre de clients potentiels de la pharmacie la plus proche en dessous de 5500. La candidate à l’installation conteste en justice l’absence de prise en compte des circonstances locales particulières, à savoir la suppression prochaine d’une connexion routière qui aura pour conséquence de rendre impossible l’accès à la pharmacie existante pour une partie des habitants de la commune.

La juridiction administrative autrichienne, saisie par la pharmacienne, saisit la CJUE d’une question préjudicielle sur la conformité d’une telle loi à la liberté d’entreprendre protégée par la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne.

La CJUE, si elle admet la possibilité pour un Etat membre d’adopter des critères d’établissement dérogeant à la liberté d’installation en matière de création d’officines, considère cependant que l’impossibilité pour les autorités compétentes de prendre en compte les circonstances locales pour écarter les critères stricts d’établissement des officines portait atteinte à la liberté d’établissement telle que protégée par la Charte.

La CJUE confirme ainsi sa jurisprudence sur la possibilité de limiter la liberté d’établissement des officines mais prend position en faveur d’une application plus souple du critère démographique.

 

Antoine LemétaisOlivier SamynGhislaine Issenhuth