Vice de consentement de l'employeur = Nullité de la rupture


 

Nullité de la convention de rupture pour vice du consentement de l’employeur : La rupture produit les effets d’une démission avec notamment les conséquences financières qui y sont attachées

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 19 juin 2024, n°23-10.817, Publié au bulletin

Par un arrêt du 19 juin 2024 (pourvoi n° 23-10.817), la Chambre sociale de la Cour de Cassation donne pour la première fois, à notre connaissance, une illustration des effets de l’annulation d’une convention de rupture pour vice du consentement de l’employeur.

Dans cette décision, les juges ont posé le principe suivant : « Lorsque le contrat de travail est rompu en exécution d’une convention de rupture ensuite annulée en raison d’un vice du consentement de l’employeur, la rupture produit les effets d’une démission. »

Rappelons qu’à l’instar de tout contrat, le consentement libre et éclairé de chacune des parties constitue l’une des conditions de validité de la rupture conventionnelle. A défaut, la convention de rupture encourt la nullité pour vice du consentement (Cass. soc., 26 mars 1996, n° 94-43.296) en application de l’article 1130 du Code civil selon lequel :

« L'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. »

Jusqu’alors, la jurisprudence n’avait fixé les conséquences de la nullité de la convention de rupture pour vice du consentement que dans le cas d’un défaut du consentement du seul salarié. Dans cette hypothèse, la nullité de la convention de rupture produit alors les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ouvrant ainsi droit à une indemnité de préavis et à des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La Cour de cassation admet que le consentement du salarié n’a pas pu être librement donné dans différentes hypothèses, par exemple lorsque l'employeur a usé de son pouvoir disciplinaire pour inciter le salarié à faire le choix d'une rupture amiable (Cass. soc. 19 novembre 2014 n°13-21.979 ; Cass. soc. 16 septembre 2015 n°14-13.830).

Tel est le cas lorsque l’employeur exerce des pressions sur le salarié pour l’inciter à signer une convention de rupture, qui ont eu pour effet de détériorer son état de santé (Cass. soc. 8 juillet 2020 n° 19-15.441).

Dans l’arrêt du 19 juin 2024, la Cour de cassation retient que l’employeur a accepté la conclusion d’une rupture conventionnelle au regard du seul souhait de reconversion professionnelle du salarié qui, en réalité, en a profité pour exercer une activité directement concurrente à celle de son ancien employeur….

Pour les juges, le fait que le salarié ait volontairement omis de préciser que sa demande de rupture conventionnelle était en réalité motivée par un projet de création d’entreprise concurrente à celle de son employeur, auquel étaient également associés deux anciens salariés, caractérise un dol du salarié au sens de l’article 1137 du code civil :

« Le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manœuvres ou des mensonges.

Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie. »

Dans une précédente affaire, la Cour de cassation avait refusé de prononcer la nullité de la rupture conventionnelle en raison de manœuvres dolosives du salarié, considérant que les juges du fond ne démontraient pas que la rétention d’informations par le salarié à son employeur était déterminante du consentement de ce dernier à la rupture conventionnelle (Cass. soc., 11 mai 2022, n°20-15.909).

Dans son arrêt du 19 juin 2024, la Cour de cassation infléchit cette approche rigoureuse : les juges du fond ont, par une appréciation souveraine, « constaté que le salarié avait volontairement dissimulé des éléments dont il connaissait le caractère déterminant pour l’employeur afin d’obtenir le consentement de ce dernier à la rupture conventionnelle ».

Les juges reconnaissent ainsi non seulement le caractère intentionnel du défaut d’informations du salarié, mais également le caractère déterminant du consentement de l’employeur des informations dissimulées.

La Cour de cassation prononce alors la nullité de la rupture conventionnelle en raison du dol du salarié et juge que cette rupture conventionnelle nulle doit produire les effets d’une démission.

A ce titre, le salarié d’une part, perd son droit au versement de l’allocation chômage, ouvert au titre de la rupture conventionnelle, avec restitution à France Travail des droits perçus et d’autre part, doit restituer à son ancien employeur l’indemnité spécifique de rupture qui lui a été réglée. Au cas d’espèce, le salarié a ainsi été condamné à rembourser à l’employeur une somme totale de 40.000 euros.

Une telle décision est donc lourde de conséquences.

Florine Feuillard, Marine Gardic, Thierry Cheymol

Département droit social Lmt Avocats

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