Le temps passe, la faute demeure

L’ancienneté des manquements n’empêche pas la prise d’acte aux torts de l’employeur


La prise d’acte est le mécanisme par lequel le salarié rompt de façon unilatérale, sans préavis, le contrat de travail qui le lie à son employeur, en reprochant à ce dernier d’avoir commis une faute à son détriment. Cette faute est nécessairement un manquement à une obligation de l’employeur découlant du contrat de travail, de la loi ou du statut collectif.

Si la prise d’acte est jugée fondée par les juges, le salarié est réputé avoir fait l’objet d’un licenciement nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Il pourra donc obtenir paiement de son indemnité de licenciement, de son préavis et de dommages et intérêts. A l’inverse, si les juges considèrent la prise d’acte injustifiée, le salarié sera réputé avoir démissionné et, qui plus est, l’employeur serait fondé à lui demander réparation du préjudice que son départ sans préavis pourrait lui avoir causé.

Dès lors, la Cour de cassation a précisé que les faits reprochés à l’employeur doivent être suffisamment graves pour justifier une telle rupture aux torts de l’employeur.

Afin d’éviter que tout type de manquement puisse justifier une prise d’acte, la Cour de cassation a par la suite durci son appréciation du caractère « suffisamment grave » de la faute. Elle estime depuis un arrêt du 26 mars 2014 que lorsque le salarié laisse s’écouler un délai trop important entre la faute reprochée et la prise d’acte, cette faute n'est pas de nature à empêcher la poursuite du contrat. Et d’en conclure que la prise d’acte est, de fait, injustifiée.

Ainsi, a-t-il été jugé que le non-paiement d’heures supplémentaires pendant 5 ans n’est pas de nature à justifier une prise d’acte aux torts de l’employeur, dès lors que le salarié a tardé à demander la régularisation de sa situation (Cass. Soc. 14 novembre 2018, n° 17-18890).

Pourtant, la Cour de cassation vient récemment de remettre en cause ce principe (Cass. Soc. 15 janvier 2020, nº 18-23417) en estimant que la persistance et la gravité des manquements autorisaient le salarié à prendre acte de la rupture de son contrat de travail et ce, malgré leur ancienneté.

En effet, face à la demande d’un salarié qui avait pris acte de la rupture de son contrat de travail, une société a fait valoir que les manquements qu’il invoquait avaient duré pendant plus de 20 ans avant que le salarié ne se décide à prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur. La société affirmait ainsi que l’ancienneté des manquements attestait du fait que ceux-ci n’avaient pas rendu impossible la poursuite du contrat de travail.

Pourtant, la Cour de cassation en décide autrement. Elle considére que la persistance des manquements dont le salarié a été victime rendait impossible la poursuite du contrat de travail :

 « La cour d'appel, qui a constaté que le salarié avait été l'objet depuis 1992 d'actes d'intimidation, d'humiliations, de menaces, d'une surcharge de travail et d'une dégradation de ses conditions de travail, de nature à affecter sa santé, constitutifs de harcèlement moral l'ayant conduit à l'épuisement et à l'obligation de demander sa mise à la retraite, ainsi que d'une discrimination syndicale dans l'évolution de sa carrière et de sa rémunération, a pu décider que la persistance de ces manquements rendait impossible la poursuite du contrat de travail. 

Le moyen n'est donc pas fondé

Il est encore trop tôt pour déterminer si cette décision marque un réel revirement de jurisprudence.

Néanmoins, l’arrêt rendu par la Cour de cassation a le mérite de rappeler aux employeurs que l’ancienneté des manquements est seulement un critère parmi d’autres pour déterminer de la légitimité de la prise d’acte et non pas un rempart juridique derrière lequel l’employeur peut s’abriter en toutes circonstances. 

Thierry CheymolMarine Gardic