Covid-19 Prorogation des délais durant la période d’urgence sanitaire

Effets sur les délais de forclusion et de prescription


Parmi les vingt-cinq ordonnances publiées par le gouvernement figure celle relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire, laquelle a notamment vocation à s’appliquer en matière civile, commerciale et administrative (Ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020).

S’agissant de l’activité judiciaire, ce texte est complété par deux autres ordonnances portant adaptation :

• des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété (Ordonnance n°2020-204 du 25 mars 2020) ;
• des règles applicables devant les juridictions administratives (Ordonnance n°2020-205 du 25 mars 2020).

Cependant, ces dispositions ne s’appliquent pas aux délais et mesures résultant de l’application de règles de droit pénal et de procédure pénale, lesquels font l’objet d’une ordonnance spécifique d’adaptation des règles de procédure pénale (Ordonnance n°2020-303 du 25 mars 2020).

La présente étude a pour objet d’examiner l’effet des mécanismes mis en place par l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 sur le cours des délais de prescription et de forclusion applicables en matière civile et commerciale.


1. LA PERIODE DE PROROGATION DES DELAIS

L’ordonnance définit une période pendant laquelle les délais arrivant à échéance seront prorogés.

Cette période est délimitée de la manière suivante (Article 1 de l’ordonnance n°2020-306
du 25 mars 2020) :

• son point de départ est fixé au 12 mars 2020 ;
• sa date d’échéance est inconnue à l’heure actuelle. Elle est fixée à un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire (date de cessation de l’état d’urgence sanitaire + 1 mois).

Aussi, dès lors qu’un délai viendra à échéance durant cette période, il sera « prorogé » (c’est le terme employé par l’ordonnance) pendant tout le temps que durera la période telle que précédemment définie.

Pour mémoire, l’état d’urgence sanitaire a été déclaré pour une durée de deux mois à compter de l'entrée en vigueur de la loi du 23 mars 2020. L’état d’urgence sanitaire a donc vocation à cesser le 23 mai 2020. La prorogation de l'état d'urgence sanitaire au-delà de cette durée pourra être autorisée uniquement par une loi ultérieure. Il pourra également être mis fin de manière anticipée à ce délai par décret en conseil des ministres (article 4 de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020).

L’ordonnance a ainsi vocation à s’appliquer – sous réserve d’amendements ultérieurs – pour les délais qui ont expiré ou qui expireront entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 (date de cessation de l’état d’urgence sanitaire + 1 mois).

2. LES EFFETS DE LA PROROGATION DES DELAIS

L’article 2 de l’ordonnance dispose que tout « acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification, ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée [ci-avant] sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois. Il en est de même de tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l'acquisition ou de la conservation d'un droit. ».

Aussi, un acte interruptif de prescription ou de forclusion pourra encore être accompli postérieurement à l’expiration de la période de prorogation à la double condition 1) qu’il soit exercé « dans un délai qui ne peut excéder le délai légalement imparti pour agir » et 2) « dans la limite de deux mois ».

La seconde condition est claire : un délai de prescription ou de forclusion venu à échéance pendant la période définie précédemment ne sera pas prorogé au-delà de deux mois à compter de la fin de ladite période. Aussi, tous les délais prorogés par l’effet de l’ordonnance auront expiré au plus tard à la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire + 1 mois + 2 mois.

Enfin, il s’agit bien là d’une limite et il n’est donc en aucun cas question ici d’allonger de deux mois tous les délais de prescription ou de forclusion.

La première condition tenant à l’accomplissement de l’acte interruptif « dans un délai qui ne peut excéder le délai légalement imparti pour agir » est source d’interrogations. Comment calculer le délai « légal » restant à courir à l’issue de la période de prorogation ?

Aucune indication n’est donnée par le texte. Les délais sont-ils interrompus ou sont-ils suspendus pendant cette période ? Il convient d’envisager les deux hypothèses successivement.

2.1. L’interruption

Si l’on suit les règles instaurées par le Code civil en matière de prescription extinctive, un tel mécanisme d’interruption aurait les effets suivants :

• un délai de forclusion ou de prescription sera interrompu durant la période définie à l’article 1 ;
• à l’échéance de cette période, un nouveau délai de même durée que celui qui a été interrompu recommencera à courir ;
• ce délai ne pourra être supérieur à deux mois.

Ainsi, pour une prescription d’un an venant à échéance le 30 mars 2020, celle-ci sera interrompue pendant tout le temps que durera la période de prorogation prévue à l’article 1 de l’ordonnance.

Si l’on retenait la date du 23 juin 2020 comme échéance de cette période de prorogation, le nouveau délai de prescription serait le 23 juin 2021. Cependant, l’ordonnance limitant à deux mois les effets de la prorogation, la date de l’arrivée de la prescription sera le 23 août 2020.

Pour un délai d’un mois interrompu pendant la période de prorogation, celui-ci expirera un mois après l’échéance de celle-ci. Dans notre exemple, ce délai expirerait le 23 juillet 2020, la limite de deux mois n’ayant ici aucune incidence.

2.2. La suspension

Nous considérerons ici que les délais venant à échéance pendant la période de prorogation seront suspendus. Les règles de computation des délais du Code civil seront également appliquées.

En toute logique, une telle suspension débutera à compter du début de la période de prorogation, soit le 12 mars 2020. A l’échéance de cette période, le délai suspendu recommencera à courir pour une durée équivalente à celle qui s’est écoulée entre la date du début de la période de prorogation (12 mars 2020) et la date à laquelle le délai venait normalement à échéance.

Pour illustrer ce principe, reprenons l’hypothèse d’un délai de prescription annale qui arriverait à échéance le 30 mars 2020. Ce délai aurait été suspendu pour 18 jours entre le 12 mars 2020 et le 30 mars 2020. Aussi, le créancier disposerait de 18 jours à compter de l’échéance de la période de prorogation pour interrompre son délai.

Si l’on prend l’exemple d’un délai de prescription qui expirait normalement le 5 juin 2020, la suspension aura duré 85 jours. Ce délai de 85 jours recommencera à courir à l’issue de la période de prorogation. Il sera néanmoins limité à deux mois par l’effet de l’ordonnance.


En conclusion de ce qui précède, on retiendra :

• Qu’il est certain que les délais de prescription et de forclusion ne viendront pas à échéance pendant une période ayant commencé à courir le 12 mars 2020 et expirant 1 mois après que la fin de l’état d’urgence sanitaire aura été déclarée ;

• Que les modalités de décompte des délais restant à courir à l’issue de la période de prorogations sont, elles, très incertaines.

Aussi, la conduite la plus prudente à suivre sera d’accomplir les actes interruptifs de prescription et de forclusion dans le délai d’un mois après la promulgation de la fin de l’état d’urgence sanitaire.

 

Alexandre Gruber
Associé / Partner
Lmt Avocats