Le port de signes religieux en entreprise, la possible interdiction par le règlement intérieur


Le port de signes religieux en entreprise peut être source de tensions dans la relation de travail et doit être régie sans aboutir à une discrimination prohibée du salarié concerné. La loi, la jurisprudence des juridictions françaises mais aussi celle de la Cour européenne des droits de l’Homme et, dernièrement, de la Cour de justice de l’Union européenne le 14 mars 2017 (CJUE, Aff. C-157/15 et C-188/15) ont façonné les réponses applicables à cette problématique qu’il convient de rappeler brièvement.

 

1. L’absence d’interdiction de principe par la législation française

L'interdiction des signes religieux dans l'entreprise, contrairement à l'interdiction du voile dans les lieux publics, n'a pas été posée par la loi. Le principe de neutralité et de laïcité n'est pas applicable en l'état aux salariés dans les entreprises qui relèvent du Code du travail. Au contraire, la liberté religieuse est posée comme un principe fondamental. En revanche, la liberté d'expression religieuse ne doit pas entraîner de troubles dans l'entreprise.

 

2. La possibilité d’interdiction par le règlement intérieur de l’entreprise

En fonction de la nature de l'activité de l'entreprise, des contraintes de sécurité, d'hygiène et de santé voire encore des problèmes d'image de l'entreprise, le règlement intérieur peut imposer certaines restrictions en matière de signes religieux. Si l'employeur souhaite interdire le port de signe religieux au travail, sa décision ne doit pas être motivée par des critères religieux mais par les conséquences que ce vêtement pourrait avoir en matière d'organisation, d'hygiène ou de sécurité au travail. Exemple : lorsque l'entreprise interdit le port du voile en raison de l'obligation faite aux salariés de porter un casque de protection. Dans son article 2, la Loi Travail du mois d'août 2016 prévoit également la possibilité d'insérer dans le règlement intérieur des règles inscrivant le principe de neutralité dans l'entreprise et restreignant la manifestation des convictions des salariés. Mais à la condition, précise le texte, que ces restrictions soient :

  • proportionnées au but recherché

  • justifiées par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise ou par l'exercice d'autres libertés ou droits fondamentaux

Il revient alors aux tribunaux d’apprécier la légalité des règlements intérieurs au regard de ces conditions.

 

3. Une réglementation tempérée par l’interdiction de la discrimination

La liberté religieuse qui implique la liberté de pratiquer une religion et de manifester ses convictions religieuses, est consacrée par différentes normes tant supranationales que nationales (notamment l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme). Elle a pour corollaire l’interdiction de toute discrimination fondée sur la religion. Le code du travail interdit ainsi toute discrimination, directe ou indirecte, en raison des convictions religieuses et ce à tous les stades de la vie professionnelle, du recrutement à la formation ou promotion professionnelle et jusqu’à la rupture du contrat (C. trav. art. L. 1132-1). Le Code pénal (art. 225-1 à 225-4) sanctionne également les discriminations fondées sur la religion par une peine maximale de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
 
 

4. Les solutions posées par la jurisprudence

 La Cour de cassation :

Par ses arrêts du 19 mars 2013 (arrêts Baby-Loup et CPAM) la chambre sociale de la Cour de cassation a déjà précisé que les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé. La Cour de cassation devait s’interroger sur la question de savoir si un employeur peut se fonder sur le principe de laïcité pour exiger la neutralité vestimentaire de ses salariés et interdire ainsi le port du signe religieux.

Dans l’affaire Baby Loup, la Cour de cassation a répondu négativement à cette question en se fondant sur l’article L1321-3 du Code du travail et en précisant que « le principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution n’est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public ». Dès lors les seules restrictions tolérées à la liberté religieuse sont celles justifiées par la nature de la tâche à accomplir conformément à l’article L1321-3 du Code du travail. La Cour de cassation en assemblée plénière (25 juin 2014, Baby-Loup) jugeait que la restriction à la liberté de manifester sa religion édictée par le règlement intérieur ne présentait pas un caractère général, mais était suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés de l'association et proportionnée au but recherché.

Dans l’affaire de la CPAM, la Cour de cassation a précisé que les principes de neutralité et de laïcité sont « applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé », « peu importe que le salarié soit ou non directement en contact avec le public ».

Le principe de laïcité apparait tantôt comme un principe absolu lorsque le salarié participe à mission de service public ne tolérant aucune exception, tantôt comme un principe relatif lorsque le salarié exerce une mission de service privé où, dans ce dernier cas, la liberté religieuse est le principe et l’interdiction l’exception.

 

  • La Cour européenne des droits de l’Homme : Aux termes de son arrêt du 26 novembre 2015 (N°64846/11 Affaire Ebrahimian contre France) a indiqué que le non-renouvellement du contrat à durée déterminée dans un établissement public, d’une assistante sociale refusant d’ôter son voile n’est pas contraire à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme qui prévoit que toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. La Cour a motivé sa décision en se basant sur le principe de laïcité et celui de neutralité, imposés aux agents des services publics français. Cependant, la CEDH se fonde sur les principes de laïcité et de neutralité qui n’ont pas vocation à s’appliquer dans une entreprise non publique et n’exerçant pas une mission de service public.
  • La Cour de justice de l’Union européenne :
    Dans deux arrêts du 14 mars 2017 (CJUE, Aff. C-157/15 et C-188/15), la CJUE a jugé qu’une entreprise peut dans son règlement intérieur interdire le port visible de signes religieux.

La Cour était saisie à titre préjudiciel d’une affaire concernant deux femmes qui prétendaient avoir été discriminées au travail, en l'occurrence licenciées, en raison de leur port du foulard islamique. Aux termes de son arrêt la Cour répond que « l'interdiction de porter un foulard islamique, qui découle d'une règle interne d'une entreprise privée interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion ou sur les convictions ».

La possibilité de restreindre le port de signes religieux n’est pas pour autant absolue selon la CJUE qui précise que l'obligation de neutralité ne doit pas entraîner de désavantage pour des personnes adhérant à une religion ou à des convictions et doit être justifiée par un "objectif légitime", au travers de moyens "appropriés et nécessaires".

Conclusion :

Si l’employeur dont l’activité ne procède pas de l’exécution d’un service public ne peut interdire de façon générale et absolue à ses salariés de manifester leurs convictions religieuses dans l’entreprise, il peut toutefois apporter des restrictions à la liberté religieuse dès lors que celles-ci sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché (C. trav. art. L. 1121-1).

Un règlement intérieur peut donc prévoir des restrictions à la liberté de manifester sa religion, si la double condition de justification et de proportionnalité est respectée (C. trav. art. L. 1321-3, 2°) étant précisé que les conclusions de l’avocat général de la CJUE dans l’arrêt du 14 mars 2017 précisaient que l’interdiction peut être admise si elle « ne repose pas sur des stéréotypes ou des préjugés relatifs à une religion ou aux convictions religieuses en général ».

 

Valérie Tromas et Jérôme Rousselle