Traitement fiscal des clauses de garantie de passif : un classique à revisiter

Lexisnexis - Revue de Droit Fiscal N°26 - 28 juin 2018

 


À l’occasion d’un rachat de société (cession d’actions ou parts sociales), la pratique usuelle des affaires amène à prévoir une clause de garantie de passif au profit de l’acquéreur. Cette clause a pour objet de protéger ce dernier de toute augmentation de passif (et éventuellement contre les insuffisances d’actif) constatée dans la société dont les titres ont été cédés, lorsque cette insuffisance trouve son origine dans des faits antérieurs à la cession.
La garantie bénéficie à l’acquéreur. Néanmoins, selon ce qu’ont convenu les parties dans le contrat de cession, l’indemnisation du dommage peut aussi s’effectuer, par subrogation, au profit de la société ayant subi celui-ci.
Le traitement fiscal des sommes versées ou reçues dans le cadre d’un contrat de garantie a pendant longtemps été gouverné par les principes généraux de notre fiscalité, ceux-ci étant éclairés par diverses décisions de jurisprudence. Mais un nouveau regard parait possible aujourd'hui.

1. Rappel des principes applicables

A. - Personnes soumises au régime des plus-values des particuliers

2 – Cédant des titres. – S’agissant des sommes versées par une personne physique (vendeur des titres) au titre d’une garantie de passif, le législateur en a finalement encadré le traitement fiscal à l’article 150-0 D, 14 du CGI.
Celui dispose que « par voie de réclamation (…), le prix de cession des titres ou des droits retenu pour la détermination des gains nets mentionnés au 1 du I de l'article 150-0 A est diminué du montant du versement effectué par le cédant en exécution de la clause du contrat de cession par laquelle le cédant s'engage à reverser au cessionnaire tout ou partie du prix de cession en cas de révélation, dans les comptes de la société dont les titres sont l'objet du contrat, d'une dette ayant son origine antérieurement à la cession ou d'une surestimation de valeurs d'actif figurant au bilan de cette même société à la date de la cession. […] ».
Dans les commentaires consacrés à ce dispositif, l’Administration précise que « Dans certains cas, le contrat de cession prévoit que le reversement par le cédant de tout ou partie du prix de cession en exécution de la clause de garantie de passif ou d'actif net est effectué au profit non pas du cessionnaire mais de la société dont les titres sont cédés, afin de lui permettre, notamment, de combler le passif, objet de la clause. Dans ce cas également, le montant de la plus-value de cession réalisée par le cédant est diminué du montant du reversement » (BOI-RPPM-PVBMI-20-10-10-30, 14 oct. 2014, § 30).

3 – En substance, on retiendra de ce texte et de la doctrine administrative que lorsque le garant est une personne physique, les sommes versées au titre d’une clause de garantie de passif viennent systématiquement en déduction de la plus-value de cession des titres, quelle que soit la nature de cette clause (révision de prix ou indemnité) et indifféremment de la personne du bénéficiaire (cessionnaire des titres ou société dont les titres ont été cédés).

4 – Cessionnaire des titres. – L’article 150-0 D, 14 du CGI prévoit, dans une deuxième phrase, que « [..] Le montant des sommes reçues en exécution d'une telle clause de garantie de passif ou d'actif net diminue le prix d'acquisition des valeurs mobilières ou des droits sociaux à retenir par le cessionnaire pour la détermination du gain net de cession des titres concernés ».

Lorsque le bénéficiaire de la garantie est une personne physique, une symétrie de traitement par rapport au vendeur s’impose donc, et les sommes reçues viennent en diminution du prix d’acquisition des titres.

B. – Entreprises relevant des BIC ou soumises à l’IS

5 – Les règles exposées ci-dessus, propres aux particuliers, sont inopérantes lorsque le cédant ou le cessionnaire des titres est une entreprise à l'IR ou une société à l’IS, ou encore lorsque, par subrogation, le paiement fait en exécution de la clause de garantie échoit à la société ayant subi le dommage, elle-même à l’IS.
Le corpus de règles applicables, essentiellement d’origine jurisprudentielle ou doctrinal, tend à établir une symétrie entre le traitement fiscal des sommes reçues et celui des sommes versées. Les principes gouvernant l’imposition et la déductibilité des sommes en cause sont les suivants :
• lorsque la garantie donnée s’opère via une clause de révision de prix,
le cessionnaire peut réduire le prix de revient des titres à due concurrence (BOI-BIC-CHG-20-20-10, 23 sept. 2013, § 10) ; le versement reçu n’est pas une recette imposable ; s’agissant du cédant, il est tenu de corriger symétriquement sa plus ou moins-value de cession de titres (CGI, art. 39 duodecies, 9) ;
• lorsque la couverture des dommages subis s’opère via une clause de garantie de passif de nature indemnitaire, « l’entreprise ayant acquis des titres doit comprendre dans ses résultats imposables la somme versée par la société qui lui a cédé ses titres. En effet, aucune disposition ne permet que la somme versée par l'entreprise cédante à la société cessionnaire en exécution d'une telle convention soit déduite des résultats imposables de la société cessionnaire » (CE, 7e et 8e ss.-sect., 24 avr. 1981, n° 18346, Sté X : Rec. CE 1981, tables p. 705 ; RJF 7-8/1981, n° 653. – TA Cergy-Pontoise, 28 mars 2012, n° 0802180, SA PPR. – CE, 8e et 3e ss-sect., 24 juin 2013, n° 350451, Caron, consid. 8 : Dr. fisc. 2013, n° 37, comm. 412, concl. N. Escaut, note R. Poirier ; RJF 10/2013, n° 905). Corrélativement, l’indemnité versée revêt le caractère de dommages et intérêts déductibles chez la société cédante (CAA Douai, 3e ch., 31 juill. 2012, n° 11DA00407, SA Pafic : RJF 12/2012, n° 1102. – CAA Paris, 2e ch., 10 juin 1993, n° 91PA00973, SA Gallay) ;
• enfin, lorsque l’indemnisation du dommage se fait directement au profit de la société ayant subi la charge ou la perte, il convient de se référer à la jurisprudence du Conseil d’État selon laquelle : « Les indemnités versées à un contribuable pour réparer une diminution de ses valeurs d'actif, une dépense qu'il a exposée ou une perte de recettes, dès lors que leur versement a été effectué non pour concourir à l'équilibre de l'exploitation, mais en vertu d'une obligation de réparation incombant à la partie versante, ne constituent des recettes concourant à la formation du bénéfice imposable que si la perte ou la charge qu'elles ont pour objet de compenser est elle-même de la nature de celles qui sont déductibles pour la détermination des bénéfices imposables » (CE, sect., 12 mars 1982, n° 17074, SA X : Dr. fisc. 1982, n° 23, comm. 1228 ; D. 1982, p. 464, note J. Schmidt et F. Bénac-Schmidt ; RJF 4/1982, n° 334, concl. O. Schrameck, p. 160). Cet arrêt de principe gouverne aujourd’hui le traitement fiscal des indemnités reçues en réparation d’un dommage, et est repris par la doctrine administrative (BOI-BIC-PDSTK-10-30-20, 2 mars 2016, § 190). Chez la société versante, le traitement fiscal de l’indemnisation reste normalement gouverné par la nature de la convention, clause de révision de prix ou indemnité.

2. Un nouveau regard ?

6 – En nombre et en volume, la mise en jeu des clauses de garantie de passif intervient majoritairement entre des garants et des bénéficiaires qui sont des sociétés commerciales passibles de l’IS. La nature de la clause, révision de prix ou indemnité, devient alors un enjeu de négociation puisqu’elle peut aboutir à une déduction complète des sommes versées chez le garant et une imposition à l’IS chez leur bénéficiaire.
Par ailleurs, le quantum des préjudices à indemniser est une source régulière de litiges, soit parce que le dommage lui-même fait l’objet de recours (litiges fiscaux, sociaux, procès en cours, etc.), soit parce que garant et bénéficiaire divergent sur l’appréciation du préjudice indemnisable.
Il est donc fréquent que l’indemnisation définitive du dommage intervienne plus de deux ans après le rachat des titres, d’autant plus qu’en matière fiscale et sociale, il est d’usage de prévoir une durée de la garantie égale à la prescription.
Après deux ans, les titres acquis par la société cessionnaire ont normalement la nature de titres de participation relevant du secteur exonéré. Ceci signifie, entre autres, qu’une réparation de nature indemnitaire imposable chez le cessionnaire vient compenser une perte de substance des titres acquis non déductible. Dans une approche consolidée, ce déséquilibre n’est pas nécessairement compensé par la perte ou la charge à l’origine du préjudice, celle-ci pouvant être non déductible (ex : rappel d’impôt, ajustement de dette nette sur situation comptable consolidée, etc.).
Dans le cadre de sa mission de contrôle, l’administration fiscale reste vigilante sur le fait que lorsque l’indemnisation revêt un caractère indemnitaire, son bénéficiaire inclue bien cette recette dans son bénéfice imposable.

7 – Il semble que les principes sous-jacents à cette imposition aient perdu de leur acuité.
Nous avons vu plus haut que lorsque l’indemnisation est versée à la société ayant subi le dommage, il est d’usage de se référer à la jurisprudence précitée du Conseil d’État du 12 mars 1982, selon laquelle les indemnités reçues ne constituent une recette imposable que si la perte ou la charge qu'elles ont pour objet de compenser est elle-même déductible.
En revanche, cette jurisprudence est rarement invoquée pour faire échec à l’imposition de l’indemnité chez le cessionnaire des titres. En effet, un ensemble de décisions du juge de l’impôt (not. CE, 7e et 8e ss.-sect., 24 avr. 1981, n° 18346, préc.) préconise clairement l’imposition de cette somme.
Néanmoins, cette imposition est discutable lorsque les titres acquis constituent, chez le cessionnaire, des titres de participation répondant à la définition de l'article 219, I, a quinquies du CGI. En effet, pour les exercices ouverts depuis le 1er janvier 2007, la plus-value nette à long terme afférente aux titres de participation est exonérée. Corrélativement, « La moins-value nette à long terme afférente aux titres de participation relevant du secteur exonéré ne peut donner lieu à aucune déduction du résultat imposable et ne peut pas davantage être prise en compte pour compenser les plus-values à long terme réalisées à raison d'autres catégories de titres. De même, les provisions pour dépréciation constituées en comptabilité à raison de ces mêmes titres de participation ne peuvent faire l'objet d'aucune déduction » (BOI-IS-DEF-30, 6 avr. 2016, § 20).
Autrement dit, et conformément à la jurisprudence précitée du Conseil d’État du 12 mars 1982, il parait légitime d’objecter que si les pertes sur titres de participation ne peuvent plus faire l’objet d’aucune déduction fiscale, les indemnités perçues en réparation d’une diminution de valeur de ces titres n’ont plus lieu d’être imposées.

8 – Reste enfin à voir comment cette analyse s’articule avec les décisions de jurisprudence habituellement invoquées par l’Administration pour conclure à une imposition de ces indemnités. Ces décisions (not. CE, 7e et 8e ss.-sect., 24 avr. 1981, n° 18346, préc.) portent toutes sur des espèces antérieures à la réforme de 2007, période où les plus-values sur titres de participation n’étaient pas exonérées mais intégralement imposables à un taux d’IS spécifique. Ces solutions étaient donc logiques.
Sous réserve de l’appréciation du juge de l’impôt, dont l'analyse n'a pas fluctué (la règle selon laquelle l’indemnisation contractuelle d’un préjudice non déductible n’est pas imposable ne souffre à ce jour aucune exception), cette analyse devrait conduire à ne plus se focaliser sur la nature juridique de la clause de garantie (révision de prix ou indemnité), et à ne pas imposer la somme reçue par le cessionnaire des titres dès lors que ceux-ci sont des titres de participation.
Pour le garant personne morale à l’IS, le choix entre clause de révision de prix et garantie indemnitaire conserve son importance, étant rappelé que la déductibilité de la base de l’impôt d’un versement indemnitaire n’est pas gouvernée par l’imposition symétrique de cette somme chez son bénéficiaire. Une harmonisation complète du régime fiscal des sommes versées où reçues dans le cadre de conventions de garantie de passif reste donc à réaliser.

Par François Veuillot - avocat associé