Il n’existe pas d’interdiction de principe d’amortir le droit d’entrée versé au bailleur


Le Conseil d’État vient de préciser les conditions dans lesquelles le preneur peut procéder à l’amortissement du droit d’entrée

Les deux qualifications possibles du droit d’entrée

Le droit d’entrée, ou pas-de-porte, est une somme versée au bailleur d’un local à usage commercial, industriel ou artisanal par le preneur lors de l’entrée en jouissance. Il présente en principe le caractère d'un supplément de loyer, dont la déduction doit être répartie sur une période au moins égale à la durée du bail. Il peut cependant être assimilé au prix d'un élément incorporel du fonds de commerce s’il forme, avec le loyer stipulé, compte tenu le cas échéant des avantages offerts par le bailleur en sus du droit de jouissance, un total excédant le loyer normal du local.

Lorsque le droit d’entrée est considéré comme un élément du prix de revient du droit au bail, la question se pose de savoir s’il peut faire l’objet d’un amortissement. Selon la jurisprudence du Conseil d’Etat, un élément d’actif incorporel identifiable est amortissable s’il est normalement prévisible, lors de son acquisition par l’entreprise, que ses effets bénéfiques sur l’exploitation prendront fin à une date déterminée. Le Conseil d'État a ainsi jugé que la dépréciation de droits au bail afférents à des locaux à usage commercial ne peut pas être constatée par voie d'amortissement dès lors qu'il n'était pas établi, au moment de leur acquisition, que ces droits devaient prendre fin à l'expiration des baux, d'autant que ceux-ci étaient susceptibles d'être renouvelés (CE, 15 octobre 1982, req. n° 26585 – BOI-BIC-AMT-10-20 n° 370, 31 décembre 2012).

L ’amortissement du droit d’entrée dépend de sa contrepartie

Dans la présente affaire, une société avait pris à bail des locaux, pour une durée de douze ans, moyennant, outre le loyer annuel, le versement d’une somme, qualifiée de « droit d’entrée », en contrepartie de la dépréciation du bien du fait de la durée de douze ans du bail et de la renonciation du bailleur à sa faculté de résiliation pour six ans. La société avait comptabilisé cette somme en immobilisation incorporelle et l’avait amortie sur six ans.

L ’administration fiscale avait remis en cause la déduction des annuités d’amortissement pratiquées. Le tribunal administratif de Montreuil et la Cour administrative d’appel de Versailles avaient confirmé les redressements.

Le Conseil d’État annule les décisions d’appel et considère que la Cour a commis une erreur de droit en ne recherchant pas si certains des éléments du droit d’entrée pouvaient faire l'objet d'un tel amortissement dès lors qu’il résultait des stipulations du contrat de bail que le droit d’entrée avait été versé en contrepartie non seulement de la durée exceptionnelle de douze années du bail mais aussi de la renonciation du bailleur à sa faculté de résiliation pendant six ans, avantage indépendant du caractère renouvelable du contrat et dont les effets bénéfiques sur l'exploitation cesseraient à une date prévisible (CE 15-4-2016 n° 375796, 383067).

L ’affaire étant renvoyée au fond, il appartiendra à la Cour administrative d’appel d’évaluer la fraction du montant du droit d’entrée correspondant à la valorisation des avantages retirés par le preneur de la renonciation du bailleur à son droit de résiliation pour six ans.

Les entreprises devront donc être particulièrement vigilantes à la rédaction des clauses du bail prévoyant le versement d’un droit d’entrée, son traitement fiscal dépendant de la nature des avantages non liés au caractère renouvelable du bail consentis par le bailleur en contrepartie de ce droit.

Réginald Legenre (Expression Acheter-Louer.Fr, n° 51 juillet/août 2016)

 

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