E-santé : la diversité des régimes juridiques applicables constitue-t-elle un frein à son développement ?

La Commission européenne a annoncé, le 25 avril dernier,  une série de mesures visant à mettre l'intelligence artificielle au service des citoyens européens et consistant à accroître les investissements en matière de recherche  et d'innovation dans l'intelligence artificielle d'au moins 20 milliards d'Euros d'ici à 2020, à mobiliser le Fonds Européen pour les investissements stratégiques afin d'aider les entreprises et les start-up, à adopter des lignes directrices en matière d'éthique, à publier des orientations relatives  à l'interprétation de la directive sur la responsabilité des produits défectueux à la lumière de l'évolution technologique et à mettre en place une législation visant à ouvrir davantage de données à la réutilisation. 

 


Des mesures ont également été prises au niveau national dans le cadre du grand plan d’investissement 2018-2020 annoncé par le Premier ministre qui prévoit un programme de 420 millions d’euros pour numériser les hôpitaux, 50 millions pour la généralisation de la télémédecine et 100 millions destinés à l’exploitation des grandes bases de données publique de santé et au développement d’outils d’intelligence artificielle. La stratégie nationale e-santé 2020 adoptée le Gouvernement ambitionne de mettre le patient au coeur de la e-santé en lui facilitant l’accès à ses données médicales, en soutenant l’innovation par les professionnels de santé, en clarifiant le rôle des acteurs économiques et en modernisant les outils de régulation de notre système de santé. 

L’Europe comme la France ont donc fait du développement de la e-santé un objectif prioritaire qui doit permettre d’améliorer le système de santé, offrir une meilleure prise en charge des patients et stimuler l’innovation en santé. Cette ambition doit toutefois prendre en compte les contraintes juridiques existantes. En effet, un opérateur économique qui souhaite développer un projet de e-santé est confronté à la question préalable de sa qualification, la e-santé recouvrant des notions multiples telles que la télémédecine, le Dossier Médical Partagé, ou encore les objets connectés et les applications mobiles de santé ou de bien-être qui répondent à des régimes juridiques distincts. 

 

LA TÉLÉMÉDECINE 

Les actes médicaux réalisés à distance au moyen d’un dispositif utilisant les technologies de l’information et de la communication relèvent de la télémédecine. Cette notion recouvre cinq pratiques : la téléconsultation, la téléexpertise, la télésurveillance médicale, la téléassistance médicale ainsi que la régulation médicale dans le cadre de l’activité des centres 15. Mise en place en 2009, la télémédecine a eu pourtant du mal à se déployer, du fait d’un cadre juridique stricte qui est de toute évidence à l’origine de ces difficultés. Aussi, afin de faciliter sa mise en oeuvre, la Loi de financement de la sécurité sociale 2018 a fait entrer la télémédecine dans le droit commun des règles de financement. 

 

LE DOSSIER MÉDICAL PARTAGÉ 

En raison de difficultés apparues lors de son déploiement, le dossier médical personnel n’a jamais été mis en place, et en conséquence a fait l’objet d’une refonte dans la loi de modernisation du système de santé du 26 janvier 2016. Ce dernier a été renommé Dossier Médical Partagé (DMP). La CNAMTS est en charge de sa mise en place, le DMP devant être créé auprès d’un hébergeur de données de santé. Le DMP est une faculté offerte au patient qui doit consentir à sa mise en place. Il contient naturellement les informations relatives aux actes de consultation mais également le don d’organes ou de tissus, les directives anticipées et la désignation d’une personne de confiance. 

Le DMP est accessible aux professionnels ou équipe de soins autorisés par le patient, ainsi qu’au patient lui-même. En revanche, l’article L. 1111-18 du Code de la santé publique interdit l’accès au DMP pour la conclusion d’un contrat relatif à une protection complémentaire en matière de couverture des frais de santé et à l’occasion de la conclusion de tout autre contrat exigeant l’évaluation de l’état de santé de l’une des parties. 

 

LES OBJETS CONNECTÉS ET LES APPLICATIONS DE SANTÉ 

Les objets connectés ou applications de santé peuvent, pour certains d’entre eux, être qualifiés de dispositif médical, produit encadré au niveau national par le Code de la santé publique et au niveau européen par le Règlement (UE) 2017/745 relatif aux dispositifs médicaux adopté le 26 mai 2017, dont l’ensemble des dispositions seront applicables en 2020. La question de la qualification de dispositif médical se pose pour les logiciels. Le Règlement (UE) 2017/745 a tracé une ligne très claire entre les logiciels spécifiquement destinés par le fabricant à une ou plusieurs des fins médicales visées dans la définition de la notion de dispositif médical qui constituent, en soi, des dispositifs médicaux et les logiciels destinés à des usages généraux, même lorsqu'ils sont utilisés dans un environnement de soins, ou les logiciels destinés à des usages ayant trait au mode de vie ou au bien-être qui ne constituent pas des dispositifs médicaux. 

Pour relever du statut de dispositif médical, le logiciel doit donc poursuivre une des finalités médicales énumérées dans la définition ou être destiné à créer ou modifier des renseignements médicaux. À titre d’exemple, ne sont pas des dispositifs médicaux les logiciels qui se limitent au stockage et à l’archivage des données, les logiciels utilisés dans le cadre de la télémédecine qui sont de simples applications communicantes, ou encore les logiciels d’aide à la prescription ou à la dispensation de médicaments sans fonction de calcul spécifique utilisant simplement une base de données pour valider une prescription médicale. 

En revanche, la Cour de Justice de l’Union Européenne a estimé qu’un logiciel d’aide à la prescription médicamenteuse était un dispositif médical dès lors que ce logiciel présente au moins une fonctionnalité permettant l’exploitation de données propres au patient alors même que le logiciel n’agit pas sur le corps humain (CJUE, 7 décembre 2017, SNITEM et Phillips France, C-329/16). 

En conclusion, la diversité des règlementations applicables à la e-santé tant au niveau européen qu’au niveau national rend peu lisibles les obligations et droits des différents acteurs en présence. Cette absence de lisibilité est la source d’une insécurité juridique qui n’est pas de nature à favoriser un développement de ces nouvelles technologies, ce qui appelle des mesures de simplification. 

 

Publication d’Olivier Samyn et Ghislaine Issenhuth dans la revue Hospitalia de septembre 2018